Le mobile et la fugacité du motif 

Nouer est un geste des premiers hommes, il fait toujours partie des premiers apprentissages – apprendre à nouer ses lacets. Par ailleurs, les représentations d’entrelacs sont des ornements immémoriaux, les enluminures des moines irlandais du VIIème siècle par exemple leurs entrelacs s’ils apportent un supplément décoratifs sont aussi des retardateurs à la lecture, ils offrent une opacité au sens littéral. Ce qui ne manque pas d’être piquant puisque enluminure, étymologiquement, renvoie à mettre en lumière. Les mathématiques contemporaines reconnaissent aux nœuds cette faculté de faire obstacle à l’écriture en ne se laissant pas écrire mathématiquement, résoudre en équation. 

Ce fut une des motivations qui me conduisit à prendre le parti du dessin à partir d’un geste : nouer la feuille de papier et la considérer à partir de cette torsion qui la transforme en une bande entrelacée de façon à ce qu’elle devienne unilatère, objet de résistance et de déstabilisation des sens. On ne comprend rien à ces surfaces moebiennes tant qu’on ne les pratique pas. Les repères spatiaux conventionnels (les oppositions recto/verso gauches/droites, haut/bas) sont troublés. C’est plus largement un mode de pensée binaire qui se trouve ébranlé.  Le corps entier est concerné par cette expérience, ce qui s’y déprend (plutôt que ce qui s’y comprend) échappe au langage et à la représentation. (La simple représentation d’une bande de Moebius n’a évidemment aucune de ses qualités topologiques). Le lieu du dessin m’apparait comme celui d’un état transitoire où la surface d’inscription – se comporte comme un partenaire. Faussement fragile, Le papier se laisse altérer, modifier, mais aussi il s’anime, réagit, résiste parfois à mes gestes iconoclastes.

Récemment, je suis revenue à l’espace de la feuille mais depuis sa capacité à former une membrane qui s’intercale entre (qui n’est ni un dedans, ni un dehors). 

Dans la série, entrelacs – sort de là, plusieurs feuilles de papier se superposent et disposent des mêmes motifs poinçonnés ajourés. Ces motifs sont les relevés des silhouettes d’une ficelle nouée déposée et reposée sur la surface. Mes jeux de ficelles me conduisent à la conception d’un invariant mobile, la ficelle nouée, qui se comporte comme le motif fuyant du nœud coulant et qui formalise à l’envi l’ornement mouvant.

Par un processus en cascade, un feuilletage s’organise qui n’est alors pas que de différentes couches de papier, il est aussi de flux (de peinture) et de gestes de retournement.

Après séchage, à l’accrochage, avec la verticalité, les feuilles atteintes dans leur planéité gondolent et ne se touchent que de-ci de-là ; ombre et lumière frisent à la lisière des bords des motifs dentelés par le poinçon. Enfin on peut considérer le travail d’évidement comme une fenêtre non pas sur l’univers mais sur l’espace clos du mur.

amélie de Beauffort, détail, encre sur papier

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